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6.7 Vie sociale en ligne

6.7.1 Un web social et public

L’utilisation d’un service de web social peut répondre à de multiples besoins. Chaque service accorde une certaine visibilité à l’internaute et lui permet d’atteindre certains buts. Plusieurs de ces accomplissements peuvent sembler plutôt anodins et l’utilisation du service de web social est souvent liée à une activité ludique qui ne semble pas avoir de but précis. Dans une perspective large, pourtant, il est possible de voir chaque utilisation de service comme une portion d’une stratégie sociale plus large, même si cette stratégie est informelle ou même inconsciente.

Certaines stratégies sociales liées à la gestion de ses activités sur le web social sont réfléchies. L’exemple typique est celui de l’internaute en recherche d’emploi qui utilise son profil comme une sorte de curriculum vitae informel. Certains services, comme LinkedIn, sont d’ailleurs expressément prévus pour ce genre de fonction. Selon le type d’emploi recherché, toute activité peut s’insérer dans une recherche d’emploi. Une comédienne peut envoyer des vidéos humoristiques pour se faire remarquer par des agents d’artistes, un enseignant peut utiliser un service de microblogging pour vendre ses services en tant que tuteur, une informaticienne peut utiliser le développement en source ouverte pour mettre de l’avant son expertise en programmation. Dans des cas comme ceux-ci, le lien avec les stratégies de vente est très net : il s’agit de « se vendre soi-même ». Même lorsque la « marchandise » à vendre est une compétence professionnelle, il est possible de parler de marketing social. L’utilisation du web pour le marketing est d’ailleurs une tendance lourde du web depuis la fin des années 1990.

Une institution peut avoir diverses activités sur le web, et certaines de ces activités peuvent se construire comme des objets publicitaires assez classiques. Une institution quelconque (Oxfam, Nestlé, le Parti Neorhino, etc.) peut construire un profil sur le web social dans le cadre d’une campagne spécifique ou comme partie intégrante d’une stratégie de marque (branding ou brand strategy). La notion de « marque » (brand) a une telle importance sur le web social qu’elle effectue le passage du domaine institutionnel vers l’individu. On parle aujourd’hui de personal branding (« marque personnelle »), même lorsque le but avéré des activités en ligne a peu de liens avec la mise en marché.

C’est dans ce contexte que la gestion des activités en ligne accorde le plus d’importance à la réputation et à l’influence.

6.7.2 La réputation et l’influence

La réputation

Le terme « réputation » peut avoir un sens assez neutre, par exemple dans un contexte légal. Dans le contexte qui nous occupe, la notion de réputation correspond plutôt à une échelle de valeur à laquelle est associée une notion de popularité. Une personne reconnue publiquement pour des actions perçues comme bénéfiques est considérée comme ayant une bonne réputation. Une action considérée comme néfaste peut rapidement ternir la réputation de cette personne, surtout lorsque cette action a une visibilité large.

Si mon identité fait référence à ce que je projette ou à la façon dont je me représente (ce que je dis sur moi), la réputation correspond plutôt à ce que les autres disent de moi.

Pour de plus en plus de gens, le web social devient une importante composante de la réputation. Pour vous initier à ces enjeux, effectuez une recherche Google sur votre nom entre guillemets. Que trouvez-vous ? Quel est le premier résultat ? Y est-il question de vous ? Que dit-on ? Parmi les dix premiers liens, combien sont sous votre contrôle total ou partiel ? Combien sont complètement hors de votre contrôle ?

Il est devenu d’usage courant chez un nombre grandissant de personnes (incluant des employeurs potentiels) de chercher à en savoir plus sur une personne qu’ils s’apprêtent à (ou viennent de) rencontrer au moyen d’un moteur de recherche. Bien entendu, dans certains cas, il se trouve que leur réputation en ligne les précède.

Dans certains systèmes du web social, la réputation d’une personne fait l’objet d’une formalisation explicite. Cette réputation fluctue en fonction des éléments dynamiques du profil de cet individu et des réactions qu’elles suscitent. Un commentaire pertinent laissé sur un blogue ou sur un forum web peut contribuer de façon significative à enrichir la réputation de l’individu. À l’opposé, les comportements abusifs sont punis par une baisse de réputation. Certains services utilisent même un système de gestion de la réputation qui donne priorité aux activités des utilisateurs ayant établi une réputation positive et qui tente d’amoindrir les activités des utilisateurs à réputation négative.

Fondé en 1997, le site Slashdot fait figure de pionnier dans le domaine. Réinventant la notion spirituelle de « karma » (liée aux relations de causalité entre les agissements individuels) pour l’appliquer aux commentaires laissés sur le site, les concepteurs du site ont élaboré un système de modération des contenus basé sur la gestion de la réputation en ligne. Un commentaire contenant une analyse pénétrante (insightful) peut donner du poids aux commentaires subséquents du même utilisateur. À l’inverse, une tentative évidente de provoquer la controverse (troll) peut faire en sorte que les commentaires de l’utilisateur demeurent généralement masqués.

Ce qui vaut pour la réputation personnelle vaut aussi pour la réputation institutionnelle, à ce détail près : la réputation d’une institution dépend des agissements des individus qui la composent. Dans certains cas, l’action d’un seul individu au sein d’une institution peut faire basculer la réputation de cette institution d’un côté à l’autre de la frontière entre réputation positive et réputation négative. Cet effet demande une certaine visibilité : si l’agissement individuel passe inaperçu, la réputation institutionnelle demeure inchangée.

Par contre, une action relativement anodine peut avoir des effets considérables sur la réputation institutionnelle si elle est très visible. Le web augmentant grandement la visibilité d’actions sortant de l’ordinaire, les cas d’actes isolés ayant des impacts forts sur la réputation individuelle abondent. L’effet de scandale lié à une vidéo de mauvais goût envoyée sur YouTube par deux employés d’une pizzeria démontre bien l’effet de l’acte individuel sur la réputation institutionnelle.

Parcourez la présentation qui suit par Émilie Ogez qui présente les enjeux reliés à l’identité et la réputation dans le web social.

Gerer son identite numerique et surveiller sa e-reputation à l'heure du Web 2.0
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L’influence

La notion d’« influence » est liée à celle de réputation. Ces deux notions peuvent être envisagées par la lorgnette du marketing. Une publicité a pour but d’influencer le comportement des consommateurs. Sur le web social, les comportements et les idées peuvent être vus comme faisant partie d’un système similaire. Selon cette théorie du marketing social, un utilisateur influent est mieux à même d’inciter un changement de comportement que les autres utilisateurs. La réputation et la popularité font partie intégrante de cette notion d’influence : pour être influent de cette façon, il faut avoir une réputation vaste et positive. L’utilisateur se doit d’être connu et apprécié pour être réputé comme ayant une influence décisive sur d’autres utilisateurs.

Sur le web, beaucoup de choses se mesurent. Selon le modèle du marketing social, ce type d’influence se mesure assez précisément en fonction de comportements observés qui témoignent de l’attention dont bénéficie une personne. Une personne dont le flux de mises à jour de microblogging est réutilisée par d’autres a une influence tangible. Les rétroliens du monde des blogues évoquent le même type de mesure. La « centralité » d’une personne au sein d’un réseau social est une marque de potentiel d’influence, ce potentiel ne se réalisant en influence réelle que s’il est exploité.

Ce modèle met donc l’accent sur le comportement individuel et sur une sorte de hiérarchie personnalisée. La structure sociale qui sous-tend ce modèle se rapproche de celui des systèmes politiques ou du monde du commerce plutôt que de celui de réseaux sociaux flexibles et fluides.

Il est possible d’examiner la notion d’influence sous d’autres angles. Par exemple, la notion de mème est au centre d’un modèle qui donne à l’idée elle-même la possibilité de se propager librement, sans que la transmission ne soit volontairement dirigée par des individus. Ce modèle est compatible avec la notion de « viralité » : un objet social qui « devient viral » (goes viral) sur le web est un objet qui se transmet très rapidement, bien au-delà des efforts d’individus isolés. Selon la mémétique, cet objet dispose de caractéristiques intrinsèques qui lui permettent de se propager de façon aussi efficace. Un tel modèle n’est pas incompatible avec la notion d’une influence individualisée, mais il déplace le centre d’intérêt depuis l’individu vers l’idée elle-même.

Une autre façon de concevoir l’influence est de comprendre le processus d’adoption de nouvelles idées comme un jeu social complexe qui se joue au-delà des actions individuelles. Les idées sont « dans l’air du temps » et c’est le contexte social dans son ensemble qui rend possible leur intégration à des changements de comportement. Dans un tel modèle, ce n’est ni l’individu qui « pousse l’idée », ni l’idée qui « se pousse elle-même ». C’est le contexte social qui intègre les nouvelles idées.

En opposition directe avec le modèle de l’influence individuelle peut se construire un modèle social qui tient compte de la dynamique entre réseaux et sous-réseaux. La centralité au sein d’un réseau permet de délimiter une sphère d’influence : une personne centrale à un réseau a une grande influence à l’intérieur de ce réseau, mais son influence hors de ce réseau demeure indéterminée.

Par exemple, si Michelle Blanc est considérée comme centrale dans le réseau du marketing social québécois, son influence potentielle sur les comportements des chasseurs au Mali est en revanche impossible à déterminer. À l’inverse, un personnage aussi influent chez les chasseurs du Mali que Yoro Sidibe n’aura probablement que peu d’influence dans le réseau du marketing social québécois, peu importe sa notoriété, sa réputation, son statut et son prestige dans son pays d’origine.

Par contre, une idée provenant de l’un ou l’autre de ces réseaux peut faire le passage d’un réseau à l’autre par l’entremise de divers intermédiaires, sans que la mesure de l’influence de chacun de ces individus ne dépasse un seuil minimal. Ces intermédiaires entre réseaux ont un effet combiné et il serait très difficile de départir leurs responsabilités individuelles dans la transmission de l’idée.

L’influence spécifique de chaque individu n’a que peu d’importance, mais l’effet global d’influence peut se faire sentir d’un bout à l’autre d’une longue chaîne de transmission. Internet étant un réseau de réseaux, ce modèle suit de façon analogique l’infrastructure technologique qui a rendu le web possible. Comme la transmission des données sur Internet, cette influence est décentralisée. Par analogie à l’« effet papillon » de la théorie du chaos, ce modèle d’influence peut être surnommé l’« effet du papillon social ». Si le modèle de l’influence individualisée est plus politique ou commercial, l’effet du papillon social est plutôt humaniste.